Tu n’es pas en retard. Tu es en reconstruction.
Deuil, rage, désapprentissage, et le long travail de devenir la personne qu’on ne t’a jamais laissé être.
Être identifié comme autiste tard dans la vie, c’est se rendre compte que l’histoire qu’on t’a racontée sur toi-même ne t’appartenait pas. Et qu’elle n’était même pas basée sur la réalité.
C’est revoir toute une vie vécue sans les infos qui auraient tout changé – voir les burnouts, les meltdowns, les périodes de repli, les paniques, la haine de soi, les shutdowns, l’isolement – et enfin comprendre que ce n’étaient pas des failles morales. C'était des réponses autistiques, sans l'ombre d'un doute.
C’était de la survie.
Moi, j'ai été identifié très jeune, et je n'ai jamais douté de ma vocation. Je suis catégorique - cela ne signifie pas qu'on m'a vu clairement. Je vous affirme que cela ne veut pas dire que j'avais les bons outils, les bons mots ou le soutien dont j'avais besoin. J'ai traversé des décennies de mécompréhension de soi, mais aujourd'hui, je me sens enfin en paix. Je suis déterminé à rentrer dans des systèmes qui m'ont nié et déformé. J'ai, moi aussi, intégré cette honte. J'ai longtemps pensé que mes « effondrements » étaient le signe de défauts de caractère. Je savais que je méritais de me reposer.
Je vais vous expliquer pourquoi je suis si lent. Je vous prie de bien vouloir m'excuser d'exprimer mes besoins. Je savais pertinemment que j'étais autiste. Mais je ne comprenais pas ce que ça voulait dire. Mais je sais que ce n'est pas dans mon corps. Je peux vous garantir que cela ne se produira pas dans mon système nerveux. Je peux vous le dire avec certitude : ça n'arrivera pas dans ma vie.
Donc, même si je n’ai pas été identifié tard, je sais ce que c’est que de se réveiller au milieu de la nuit et de réaliser que la vie qu’on s’est construite s’est formée autour de quelque chose qu’on n’a jamais vraiment compris. Je sais ce que c’est que de regarder son propre récit et de sentir le deuil monter – pas parce qu’on a changé, mais parce qu’on voit enfin clairement ce qui a toujours été là.
Et quand cette clarté arrive, elle ne vient pas doucement.
Être identifié tard, ça ne donne pas une réponse claire ou digeste. Ça te jette en plein milieu du chaos que tu as déjà vécu. Ça ouvre une porte – mais sans te dire quoi faire avec ce qu’il y a de l’autre côté. Il y a du soulagement, oui. Mais aussi de la rage.
De la confusion. De la honte.
Du manque. Du deuil.
Je vous l'assure : faire le deuil des années où vous n'avez pas pu vivre en étant vous-même n'est pas une idée abstraite. C'est une expérience viscérale, une véritable révélation. C'est une vérité inéluctable : c'est dans tes os. Je suis formel, c'est dans ton système nerveux. Dans les années où tu as tout fait pour rester « à flot », où tu t'es demandé pourquoi tes relations s'effondraient, où tu as essayé encore et encore d'être « normal·e » et où tu t'es senti coupable quand ça ne marchait pas, tu as fait preuve d'une force et d'une résilience remarquables.
C'est dans ces moments de doute, lorsque la nécessité de repos se fait sentir mais que la justification semble s'esquiver, que la magie opère. C'est dans les boulots perdus que l'on trouve l'excellence. Je suis absolument convaincu que les relations que tu as vécues t'ont vidé. Je sais que tu as gardé le silence, parce que parler t'aurait rendu vulnérable. C'est en prenant le temps de te connaître toi-même que tu as fini par accorder ta confiance à tes propres signaux. Je vous garantis que vous les remarquerez.
Et maintenant ?
Maintenant, on attend de toi que tu fasses quelque chose de cette info. Qu’on te voie “revenir à toi”. Reprendre ton identité. Unmasker. Guérir. Et peut-être que tu le veux aussi. Mais personne ne te dit qu’unmasker, ce n’est pas automatique. Que ce n’est pas toujours libérateur. Que ce n’est pas le contraire de la douleur – c’est souvent le début d’une autre forme de douleur.
Parce que tout ce que tu as construit pour survivre – ta manière de parler, tes routines, ton éthique de travail, ta manière de cacher ta fatigue, ton abandon de toi-même – tout ça, c’était une armure. Et maintenant on te demande de l’enlever sans te garantir qu’il y aura de la sécurité dessous.
La vérité, c’est que découvrir qu’on est autiste tard dans la vie, ça demande de déconstruire une version de soi qu’on t’a forcé à devenir. Et tu l’as devenue. Pour survivre. Pour être aimé·e. Pour passer. Parce qu’on ne t’a pas laissé d’autre option.
Et maintenant, morceau par morceau, tu es en train de désapprendre.
Tu sais maintenant que ce que tu pensais être de la « régulation émotionnelle » n'était pas ça. C'était en fait du masquage. Je suis convaincu que ce que tu appelais « travailler dur » était en réalité de l'inertie autistique non reconnue suivie d'un effondrement. Je suis absolument certain que ce que tu pensais être « trop sensible » n'était en fait qu'un système nerveux traumatisé par une vie entière de dysrégulation sensorielle. Ce que tu considérais comme ta personnalité n'était peut-être qu'une façade, une protection contre les blessures.
Être identifié tard ne te donne pas un nouveau départ. Ça t’oblige à faire face.
Et ce qui vient après, ce n’est pas une ligne droite. Ce n’est pas un plan. Ce n’est pas du développement personnel. Ce n’est pas guérir pour mieux performer. C’est plus lent. Plus chaotique. C’est du deuil et de la réparation, en même temps.
Parce que tu n’as pas juste à gérer la confusion interne – tu vis aussi dans un monde qui ne te croit toujours pas. Un monde qui exige des preuves de ta souffrance avant de t’écouter. Un monde qui t’invalide si tu ne performes pas ta douleur de la “bonne” manière. Un monde qui te punit pour avoir masqué – et te punit aussi pour avoir arrêté de le faire. Un monde qui exige que tu rentres dans le moule – puis te traite d’« inauthentique » quand tu y arrives trop bien.
Alors si tu es fatigué·e – si le deuil ne passe pas – si les mots te semblent encore étrangers – ce n’est pas un échec. C’est ça, le processus.
C’est lent. C’est solitaire.
C’est beau. C’est rageant.
C’est nécessaire.
Tu n’es pas en retard. Tu reconstruis.
Et reconstruire, ça ne veut pas dire repartir de zéro. Ça veut dire repartir d’ici. Avec la vérité que tu n’avais pas avant. Avec les besoins que tu as enfin le droit de nommer. Avec la douleur que tu peux enfin appeler douleur. Avec un corps qui se tend encore, qui panique encore, qui se prépare encore au rejet – parce qu’il a été entraîné comme ça.
Tu ne commences pas « tard ». Tu commences honnêtement.
Ça ne veut pas dire que ça devient facile. Ça veut dire que ça devient plus vrai. Tu vas encore t’effondrer. Tu vas encore mask parfois. Tu vas encore avoir soif d’appartenance. Tu vas encore douter. Et ça ne veut pas dire que tu t’y prends mal. Ça veut dire que tu es encore là. Que tu choisis encore d’être là, en tant que toi. Et ça, ça compte.
Tu es en train d’apprendre quels sont tes vrais besoins. Pas tes stratégies d’adaptation. Pas tes paris approximatifs. Pas tes ajustements pour survivre. Tes vrais besoins. Et cet apprentissage est lent – parce qu’on ne t’a jamais appris à t’écouter.
Alors non.
Tu n’es pas en retard.
Tu n’es pas en échec.
Tu n’es pas à la traîne.
Tu vis dans un système qui ne t’a jamais donné les bons outils – et tu es en train de les forger, maintenant – à ta manière, à ton rythme, selon tes règles.
Ce n’est pas une faiblesse.
C’est le vrai travail.
Et ça vaut le coup.